L’histoire de Kertzfeld
Le Village
Comme tous les villages d’Alsace, Kertzfeld a son histoire, sa culture, ses traditions, ses anecdotes, et détient un patrimoine historique, culturel et artistique souvent méconnu et qui ne doit pas tomber dans l’oubli.
Il fait partie de l’arrondissement d’Erstein, canton de Benfeld, département du Bas-Rhin. La superficie du ban communal est de 943 hectares dont 1/3 occupé par une forêt. Le village, situé à une altitude de 160 mètres s’est développé de part et d’autre du ruisseau, la Scheer, au contact de deux types de milieux ; à l’est la bordure occidentale de la Basse Terrasse recouverte de loess (limon riche en calcaire, en argile et en quartz) et constitue la terre de grande culture ; à l’ouest, le Bruch de l’Andlau où l’on côtoie herbages, bosquets et forêt.
La population du village était de 36 familles en 1663, période de reconstruction après la terrible guerre de 30 ans (1618-1648). Un siècle plus tard, on compte environ 600 habitants ; 1056 en 1851 ; 916 en 1900 ; 846 en 1936 : 831 en 1982 et 1227 (INSEE 2018) actuellement. L’agriculture est pratiquée par une douzaine de familles, tandis que la grande partie de la population travaille soit à Benfeld, Sélestat ou dans la grande ville de Strasbourg.
Le village de Kertzfeld est une très vieille localité qui était depuis des temps immémoriaux et jusqu’à la Grande Révolution, une terre qui dépendait de l’Evêché de Strasbourg.
Occupé dès l’Âge de Bronze
Les recherches historiques évoquent le site de Kertzfeld sur la route celte d’Ettenheim (Bade) à Andlau au passage de la Scheer. A cette époque, soit 750 ans avant J-C, un chemin traversait le centre Alsace de Rhinau à Andlau et passait par le village nommé KERAFELD (lopin de terre) cultivé sur la Scheer. Une occupation humaine y est certifiée comme l’attestent les vestiges de l’âge de bronze et l’époque gallo-romaine et mérovingienne découverts en 1860 en ce lieu.
Du temps des mérovingiens subsistent deux sarcophages, l’un emmuré dans le socle de la tour de l’église, l’autre à côté de l’église. Lors travaux de voiries et de terrassements pour l’adduction d’eau potable menés en 1952, on a découvert une fosse néolithique située dans le village sous la route vers Benfeld. Alerté par l’entrepreneur de l’époque, Monsieur Kohler, Monsieur Stieber constate que « cette découverte n’est autre qu’une structure cylindrique d’environ 1 m de diamètre à 1,80 m sous le niveau de la chaussée et peut être interprétée comme un silo à céréales reconverti après désaffection en dépotoir ». Dans cette fosse on a découvert une grande quantité de céramiques provenant d’une dizaine de vases différents, d’un outil en os poli et de quelques ossements d’animaux. La découverte de ces pièces se rapporte à la période récente dite du « Michelsberg » c’est-à-dire vers la fin du 4ème millénaire avant notre ère. En 1860 on a déjà trouvé à Kertzfeld, au lieu-dit « Filly », une hache en bronze ainsi que d’autres fragments de la même période. Depuis quelques années, les fouilles archéologiques menées dans la région par l’équipe dirigée par M. Etienne Hamm ne font que renforcer la thèse de la présence humaine en ce lieu.
Des Vestiges Gallo-Romains
Selon le pharmacien et historien de Benfeld, Napoléon NICKLES, Kertzfeld faisait partie du grand centre de commerce d’Ehl, mieux connu sous Helvetus ou Hellelum. Selon lui, Ehl ne s’arrêtait pas aux frontières de l’actuel Benfeld, mais son étendue dépassait largement les limites des bans actuels de Sand, Westhouse et Kertzfeld. Il serait erroné de s’imaginer une ville avec des constructions accolées comme de nos jours. Le cadastre romain était composé de nombreuses villas « villae rustica » parfois distantes de quelques mètres. C’est au lieu-dit Elzach ou Elzen, près de Kertzfeld, qu’on rencontrait ce type de constructions. Les habitants du village disaient la « VILLE D’ELZACH ». Jadis pâturages, ce terrain est maintenant livré à la culture. On y repère des fondations romaines, des fragments de tuiles, des briques rondes, des tessons, des clous de fer, du charbon de bois, des cendres, des morceaux de torchis rougis au feu. Cet emplacement était traversé par une belle route pavée en galets du Rhin ; l’actuel VIEHWEG ou ALTWERB.
De l’époque Mérovingienne
à la Révolution.
Après l’effondrement de l’empire romain au 5ème siècle, des groupes de familles ou des tribus venaient s’installer en Alsace suivant l’antique mode germanique pour former diverses communautés. Ils occupaient une portion de territoire composée de pâturages et de terres vaines et vaques. Ces endroits qu’ils délimitaient par des bornes devaient s’appeler plus tard les communaux, ban ou finage. Leurs habitations, granges et écuries également regroupées étaient entourées de haies vives, de fossés ou de palissades afin de se protéger des animaux sauvages. On admet que le village de Kertzfeld s’est développé autour de l’emplacement de l’église qui était sans aucun doute un cimetière fortifié. Tous ces habitants travaillaient pour le compte du seigneur du lieu, ecclésiastique ou laïc. Celui-ci garantissait la protection en cas de danger. Ces paysans payaient un cens annuel pour les terres qu’ils cultivaient, mais jouissaient d’une totale liberté et gratuité pour le droit de pâturage (Allmenden). Les terres en friches étaient laissées aux émigrés moyennant une soumission totale au « Maire ou Schultheiss » du lieu.
Ce personnage était responsable de la communauté, il représentait le grand propriétaire et c’était lui qui était chargé de tous les détails de l’exploitation rurale et de veiller à la rentrée des cens ; aussi habitait-il la cour principale. Quand le seigneur avait un conflit à régler, le Schultheiss devait, sans condition mettre tous les hommes valides à sa disposition afin de mettre sur pied une petite armée, souvent bien moribonde, pour défendre ses intérêts et cela finissait très souvent par des batailles. Pour plaire au seigneur, certains de ces « Maires » faisaient régulièrement des excès de pouvoir de toutes sortes envers les villageois, notamment pour le ramassage des cens lors des années de vaches maigres. Pour les récompenser et surtout les encourager, le Seigneur leur donnait des terres à leur nom et parfois ils étaient encore anoblis.
On les appelait alors la « petite noblesse » qui avait le droit de porter des armoiries ; le plus connu était sans aucun doute le Chevalier RAMBOLD de Kertzfeld. Il faut noter que le blason actuel de la commune n’est autre que celui d’un anobli de KERTZFELDEN qui vivait au 13ème siècle (coupé au premier d’or à l’étoile à six rais de sable au deuxième d’azur plain).
Vers l’an 1000, Kertzfeld est mentionné pour la première fois comme l’une des plus anciennes possessions de l’Evêché de Strasbourg dans la région de Benfeld. L’évêque de Strasbourg en était déjà seigneur. Les monastères de Baumgarten, d’Eschau (XIIème s.), celui de St Arbogast de Strasbourg (XIIIème s.) y possédaient des biens.
La Révolution et les biens du clergé
En 1789, quand soufflait le vent de la Révolution, la France était au bord de la ruine et les caisses du royaume complètement vides. Afin d’éviter la banqueroute, les députés décidèrent la saisie et la vente des biens du clergé. En novembre 1789, les possessions de l’Eglise étaient décrétées « biens nationaux » et aussitôt mises en vente. Les petits villages d’Alsace hésitaient à se lancer dans cette aventure et ce n’est qu’à partir de 1791 que l’on commença à dresser un inventaire des terres concernées par ce décret à Kertzfeld ; une vingtaine de couvents possédaient des biens sur le ban du village. Les adjudications avaient lieu à Benfeld, dans la grande salle de la mairie, en séance publique, pour rendre au peuple la liberté et la justice tant attendues. Les gens pauvres sans ressources, même la plus grande partie des cultivateurs du village, n’avaient pas les moyens d’acquérir ces terres qu’ils travaillaient depuis des générations. Ils devenaient ainsi la proie des négociants venus de toute part : Strasbourg, Colmar, Andlau, Benfeld, etc…
Déclarée bien national, la maison curiale subissait le même sort. Elle fut mise en vente le 2 Messidor An 4. L’acheteur était le courageux Georges-Michel REIBEL qui voulait éviter une spéculation immobilière. En 1801, lors du Concordat, il remit la bâtisse à la disposition de la commune qui, depuis ce temps l’utilise de nouveau comme presbytère. Au cours des années suivantes, les terres furent vendues et revendues à prix d’or aux exploitants du village qui n’avaient pas d’autres solutions que de se soumettre à tous ces spéculateurs sans scrupules. Toutes ces transactions étaient à l’origine de vives tensions, mais aucune parcelle du ban de Kertzfeld n’a fait parler d’elle et fait couler autant d’encre que la fameuse forêt dite « Klosterwald ».