Le Klosterwald
Le Village
Depuis très longtemps, une partie de la forêt de Kertzfeld comporte un lieu-dit nommé « Klosterwald ». Certaines personnes y voient ici l’emplacement d’un ancien couvent ou d’un cloître. Il n’en est rien. Aucun document ou archive ne mentionne un tel établissement à cet endroit. L’origine de ce sobriquet est, sans aucun coute, dû aux différents couvents tels que SYLO de Sélestat, ou ST NICOLAS-AUX-ONDES (IN UNDIS) qui possédaient la plus grande partie de la forêt de Kertzfeld. Pourtant, une partie du « Klosterwald » faisait exception à la règle. En effet, pas moins de 35 hectares répartis en deux lots faisaient partie intégrante de la propriété du château de Grunstein à Stotzheim (aujourd’hui Mullenheim). Une parcelle se prénommait 100 Acker et l’autre 30 Acker. Ces deux lots se trouvaient au lieu-dit « Apfelforst ». Depuis le Moyen-Age et jusqu’à la Révolution, les propriétaires successifs du château géraient cette forêt sans la moindre entrave ou procédure. Sur une période de près de 5 siècles, 5 familles différentes se succédèrent au château et dans chaque renouvellement des biens, les archives font mention du fameux « Klosterwald » (Les Marx d’Eckwersheim 1443-1596 ; les Landsperg 1596-1634 ; les Dettlingen 1634-1688 ; les Le Laboureur 1688-1730 et enfin les Schwengsfelden. Cette dernière devenait propriétaire du château de Grunstein et par la même occasion, d’une partie de la forêt de Kertzfeld à savoir : « Die sogennanten hundert Acker an einem Stück im Kertzfelder Wald und die sogennanten dreisig Acker auch im selben Bann Gelegen ». Le Baron de Grunstein ou de Schwengsfeld mourut le 8 octobre 1783 en laissant la forêt en indivision entre les mains de ses quatre fils : Charles-Frédéric, Frédéric-François, Louis-Joseph et Louis-Auguste.
Louis-Auguste avait choisi le métier des armes et lors des événements de 1789, il resta fidèle au Roi, mais pour sauver sa peau, il préféra s’exiler en Russie dans la région de Kiev. Quelques temps plus tard, Louis-Joseph en fit de même et alla habiter la banlieue de Moscou où il décéda en 1812. Cette désertion fut mal acceptée par le nouveau directoire qui, dans sa séance du 26 juillet 1793, déclara la part de forêt des deux frères, bien national. Cette partie fut alors confisquée et mise à la disposition de la caisse d’amortissement de la commune. Le 28 Ventose de l’an 2 fut organisée une adjudication de bois d’œuvre provenant de la dite forêt.
Antoine LOHNER d’Ebersmunster et Xavier KIEFFER de Bolsenheim furent les adjudicateurs. Ces parcelles, mal entretenues et mal replantées dans leur ensemble, ne rapportaient que de faibles revenus à la commune. Le 5 novembre 1822 celle-ci décida de les revendre par la même voie. La première grande parcelle de 18 hectares provenant du « Klosterwald » fut morcelée en d’innombrables lots de diverses grandeurs. Les nouveaux propriétaires étaient en grande majorité de kertzfeld et de Stotzheim.
Charles-Frédéric et Frédéric-François avaient décidé de rester en France et de soutenir le nouveau régime. Cela semblait leur réussir, car Charles devin ami avec Eulogius Schneider, commissaire à Obernai et plus tard maire de cette ville. Mais nos deux lascars n’avaient pas confiance envers les nouveaux dirigeants et ils voulaient sans doute éviter la même confiscation de leur part de forêt à Kertzfeld. Le 9 janvier 1793, ils vendaient leur bien aux citoyens Stanislas PERRIN receveur de l’enregistrement et à Christophe MOREL clerc de notaire, tous deux de Barr. Les acheteurs stipulaient et acceptaient chacun, pour moitié, pour eux et ensuite pour leurs hoirs. On ne sait pas si les deux propriétaires ont gardé leurs biens, mais 5 ans plus tard, on retrouve les parties réunies entre les mains d’un certain Mathias Radat, ancien aubergiste à Bergheim. Cet homme était criblé de dettes et la mise en vente forcée de ses biens était décidée par le Tribunal de Colmar en septembre 1845. L’adjudication eu lieu le 26 octobre de la même année devant Me Delabrousse, notaire à Benfeld. De nombreux amateurs étaient présents en espérant faire une bonne affaire. La plus grande partie des lots fut attribuée à des gens de Kertzfeld, Stotzheim, Westhouse et Benfeld. C’est ainsi que la deuxième partie du « Klosterwald » d’une superficie de 17 hectares subissait le même sort que la première moitié ayant appartenu aux deux frères exilés en Russie. Le dernier lot de l’ancien régime avait vécu.
Kertzfeld est voué à la culture depuis des temps immémoriaux. La nature du sol avec ses terres fertiles, les bois à proximité du village et les pâturages du BRUCH permettaient une vie sédentaire et à l’épanouissement de la localité. Notons que la Scheer, si poissonneuse autrefois, n’est aujourd’hui « Oh progrès » qu’un cloaque immonde. Le ban, partagé en « Felder » était composé de différents lieux-dits, dont les écrits remontent en 1340. Ces lieux-dits sont pour le chercheur une mine inespérée de renseignements quant à l’étude historique et agraire d’une localité. De génération en génération ces dénominations ont été transmises par les ancêtres et certaines se sont maintenues jusqu’à nos jours. La toponymie doit être analysée avec beaucoup de précautions. Il faut éviter de tomber dans une facilité souvent trompeuse, car nos ancêtres parlaient et utilisaient des termes en usage de leur époque. Depuis deux décennies, les bans de Kertzfeld et Westhouse ont été profondément modifiés lors du remembrement. Il faut reconnaître que cette réorganisation foncière était nécessaire pour l’agriculture moderne. Les jeunes générations ne connaîtront plus l’ancien ban avec les nombreux arbres qui ombrageaient les parcelles, les anciens chemins de terre profondément ravinés par les attelages, les bosquets et les haies vives qui faisaient le bonheur de la faune sauvage. Tout cela semble si lointain et fait déjà partie de l’histoire.